« Les clauses de la Constitution sont simples et sans équivoque », rappelle un groupe d’intellectuels

Chibli Mallat, 17-08-2016 
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BLOCAGE PRÉSIDENTIEL

Face à la persistance du blocage de l'élection présidentielle, sous différents prétextes fallacieux, un groupe d'intellectuels – juristes, universitaires, journalistes –

nous communique un appel pressant en vue d'un retour aux termes de la Constitution, soulignant que les clauses de la Loi fondamentale en rapport avec l'élection présidentielle sont simples, claires et sans équivoque, et de ce fait les députés se doivent de se rendre au Parlement pour élire, en toute priorité, un chef de l'État à la majorité des deux tiers au premier tour et à la majorité simple aux tours suivants. Nous reproduisons ci-dessous le texte de cet appel :
« Tout le monde s'accorde sur l'importance de combler le vide béant à la présidence de la République. On en trouvera confirmation au Liban, ad nauseam, et internationalement. C'était le but principal de la visite de François Hollande, puis celle du ministre français des Affaires étrangères. Même ceux qui continuent de refuser de se rendre au Parlement pour élire un président ont finalement admis cette priorité, et n'avancent plus qu'une seule condition, il est vrai dirimante : que leur candidat, et uniquement leur candidat, soit élu.
Or cette condition de s'accorder à n'élire qu'une personne désignée d'avance ne se trouve évidemment pas dans la Constitution. Les textes de la Constitution libanaise sont remarquablement précis. Rappel :
Article 34 : « La Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres qui la composent légalement. »
Article 49.2 : « Le président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des SUFFRAGES par la Chambre des députés. »
Art. 49.2 : « Aux tours de scrutin suivants, la MAJORITÉ absolue suffit. »
À noter aussi tout un titre spécial de la Constitution pour empêcher la vacance de la présidence, dont l'article 74 : « En cas de vacance de la présidence par décès, démission ou pour toute autre cause, l'Assemblée se réunit IMMÉDIATEMENT ET DE PLEIN DROIT pour élire un nouveau président. » Et l'article 75 : « La Chambre réunie pour élire le président de la République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante. Elle doit procéder UNIQUEMENT, SANS DÉLAI NI DÉBAT, À L'ÉLECTION du chef de l'État. »
Le texte est clair et précis. En cas de vacance présidentielle, la Chambre se réunit immédiatement (art. 74) et ne peut rien faire d'autre qu'élire le président (art. 75). La majorité des députés se rend au Parlement pour cette élection (art. 34) ; ils élisent à la majorité des deux tiers présents un président (art. 49). En cas d'échec de ce premier tour, ils procèdent sur la base d'une majorité absolue, donc moitié plus un des suffrages (art. 49).
Les autres conditions avancées pour justifier le blocage par un abstentionnisme physique à l'élection ne se trouvent pas dans la Constitution non plus. Quelle Constitution dans le monde permet à ses députés de faire l'école buissonnière pendant deux ans ? Il a fallu donc que les négationnistes constitutionnels inventent de nouveaux concepts pour bloquer le processus. Nous avons eu droit à des justifications de blocage inventées de toutes pièces, tour à tour : (a) l'inconstitutionnalité du Parlement actuel pour cause d'autoprorogation, (b) l'appel à une élection directe du président, (c) le consensus au sein du « dialogue ».
(a) L'inconstitutionnalité du Parlement actuel est un argument auquel nous sommes sensibles, mais le Conseil constitutionnel l'a formellement rejeté, il est d'ailleurs hors sujet, car il s'agit de la présidence où la vacance pose problème. Que ce soit pour l'élection du président ou pour le passage d'une loi, la Constitution ne met pas en doute la Chambre en tant que telle, autoprorogée ou pas. La République cesserait sinon d'exister.
(b) L'appel à une élection directe du président demande une révision constitutionnelle fondamentale, processus lent et compliqué, et sans un président. Tout appel à une révision constitutionnelle est donc spécieux et dilatoire, ouvrant la boîte de Pandore de tous les excès, y compris celui d'un congrès constitutionnel dressé en épée de Damoclès sur la République. Il y a des règles pour l'amendement de la Constitution, elle ne prévoit nulle part de congrès fondateur ou l'élection du président directement par le peuple.
(c) Quant au consensus au sein du dialogue, il fait fi du fait que le « dialogue » n'existe pas dans la Constitution libanaise, et pour cause. Le dialogue se fait naturellement au sein du Parlement, et entre les branches exécutive et législative, donc tous les jours. La création du « dialogue » n'est qu'une autre forme de torpillage institutionnel dont la victime est le Parlement.
Voici notre diagnostic en bref. Le blocage est principalement dû à des aberrations constitutionnelles qui font fi de textes clairs. L'essentiel est de convaincre le public libanais de retourner à la Constitution comme le texte fondamental qui règle nos différends, les différends étant de la nature même d'un système démocratique.
Le processus est clairement exposé dans les articles mentionnés ; il est simple, de bon sens. La majorité des députés se rend au Parlement, elle élit à la majorité des deux tiers présents un président. En cas d'échec de ce premier tour, ils procèdent sur la base d'une majorité simple. Et ils ne font rien d'autre avant d'avoir rempli la vacance à la tête de l'État.
Toute autre lecture bloque la présidence dans un système démocratique détourné vers le tunnel kafkaïen des 99 pour cent de voix. La lecture d'une Constitution en blocage est l'apanage définitionnel de la dictature.
Nous relançons donc le débat public en rappelant cette idée simple, qui est que la Constitution est là pour faciliter, et non pas pour bloquer. Son déblocage politique ne passe pas par l'Iran ou l'Arabie saoudite, la bataille d'Alep, la libération de Jérusalem ou les élections américaines. Tous ces prétextes sont vains. Le déblocage passe par une lecture sensible, citoyenne, de la Constitution.
Nous avancerons dans les semaines à venir quelques idées pratiques pour procéder au déblocage, mais l'essentiel est de revenir à un bon sens constitutionnel, le bon sens étant, dans la célèbre ouverture du Discours de la méthode, la chose du monde la mieux partagée. Dans ce premier acte cartésien, nous invitons le public, et nos parlementaires, à relire la Constitution libanaise, et à faire le travail qu'elle leur prescrit. »
Ce texte est le résultat d'une rencontre à Beyrouth le 3 août dernier entre les membres d'un groupe de réflexion et d'action se faisant appeler « Liban humaniste ». Le texte est le premier d'une série d'initiatives citoyennes engagées par les participants. Les premiers signataires du document sont Joëlle Abi-Rached, Antoine Courban, Gina Diwan, Jabbour Doueihy, Youssef Haidar, Michel Hajji Georgiou, Samir Khalaf, Chibli Mallat, Saoud Mawla, Sélim Mouzannar, Bilal Orfali, Paul Mourani, Toufic Safie et Sana Solh.

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