Gouvernement bloqué : la confiance, clef de voûte constitutionnelle

Gouvernement bloqué : la confiance, clef de voûte constitutionnelle
Chibli Mallat, 29 Nov 2016

(PDF version) L'article 64 de la Constitution stipule que le Premier ministre « procède aux consultations parlementaires en vue de former le gouvernement dont il contresigne avec le président de la République le décret de formation. Dans le délai de trente jours suivant la parution de ce décret, le gouvernement doit présenter à la Chambre des députés sa déclaration ministérielle en vue d'obtenir la confiance. Le gouvernement ne peut exercer ses prérogatives avant l'obtention de la confiance... que dans le sens étroit de l'expédition des affaires courantes ».

Au centre de la formation du gouvernement se trouve « l'obtention de la confiance », qui se fait par vote parlementaire majoritaire. Le processus se fait suivant les étapes suivantes :
(1) Nomination du Premier ministre par le président. Quelques jours sont suffisants pour la nomination. De l'avoir fait de manière efficace a soulagé le pays.
(2) Cette nomination est suivie par des consultations parlementaires pour produire un gouvernement, dont le président et le Premier ministre cosignent le décret de formation. La Constitution n'a pas strictement déterminé la durée nécessaire pour compléter cette formation, de même qu'elle n'a pas précisé dans la première étape le temps nécessaire pour que le président nomme un Premier ministre. Le bon sens et la tradition dans un État parlementaire qui prend la démocratie au sérieux ne requièrent que quelques jours pour aboutir au décret de formation. Mais c'est là où se fait le blocage actuel, qui procède d'une lecture difforme de la Constitution.
(3) Car la Constitution ne juge pas utile de s'attarder sur les deux premières étapes, la formation du cabinet étant déterminée démocratiquement par une troisième phase qui est la plus importante. C'est le vote de confiance. Là, la Constitution s'inquiète des délais. Hormis l'expédition des affaires courantes, elle interdit au gouvernement nouvellement formé d'« exercer ses prérogatives avant l'obtention de la confiance ».

Nota bene constitutionnel : le gouvernement ne dispose pas du droit d'exercer ses pouvoirs, même après être entièrement formé, sans obtenir d'abord la confiance. Seul ce vote de confiance fournit au gouvernement sa légitimité constitutionnelle. La confiance est dans le système parlementaire la condition première, et la dernière, de la vie gouvernementale, « l'élément-clef » (Béchara Menassa) de sa légitimité.

Il faut donc insister sur la confiance comme clef de voûte de notre système constitutionnel. Cela est vrai pour sa naissance, comme pour sa continuité. La confiance perdue, le gouvernement s'effondre. Il est d'autres occasions pour que le gouvernement cesse d'exister, comme lorsque le tiers de ses membres démissionne. Mais le principe veut qu'il reste légitime et opérationnel aussi longtemps que la confiance existe, car la confiance traduit le vote majoritaire au sein du Parlement représentant le peuple, et dont la majorité continue à lui octroyer la légitimité démocratique.

Résumons ces étapes : (1) consultations parlementaires aboutissant dans la nomination du Premier ministre par le président. (2) consultations parlementaires se terminant par le décret de formation du gouvernement, signé par le président de la République et le Premier ministre. (3) Déclaration ministérielle en vue d'obtenir la confiance dans les trente jours maximum qui suivent le décret de formation.

 

Ce délai seul est prévu par la Constitution parce que la confiance est l'élément le plus important pour asseoir la légitimité constitutionnelle du gouvernement. Avant même que les amendements de Taëf n'incluent formellement le vote de confiance, le grand constitutionnaliste Edmond Rabbat y voyait un « besoin impérieux de l'esprit » de la Constitution libanaise.

C'est donc encore une fois une entorse fondamentale à la Constitution que nous voyons dans le processus actuel qui bloque la naissance du gouvernement. Le pays a salué, à juste titre, la nomination rapide du Premier ministre. Dans ce même esprit constitutionnel, la naissance du gouvernement ne peut s'étaler sur des semaines et des mois. Le blocage que nous vivons viole la Constitution, car le test véritable est dans le vote de confiance.

Il ne manquera pas de politiciens pour avancer des arguments dilatoires, tirés de précédents tous traumatisants, ou d'arguments de type mystico-politique, de « pactes » non écrits, tous entravant la naissance du gouvernement. Leur lecture en blocage est fausse, car elle ne fait aucune place à la pièce maîtresse légitimant notre gouvernement, la confiance investie en lui et formellement votée par la majorité des représentants du peuple.

 

Un vote de confiance n'est pas forcément acquis. Le gouvernement qui s'est formé doit convaincre, et peut être rejeté s'il n'est pas assez représentatif. Le vote de confiance consacre l'émergence de l'opposition au gouvernement, et un gouvernement sans opposition ne vaut rien dans un État démocratique.

Je termine l'argumentation par le constat toujours nécessaire que le respect de la Constitution passe avant les choix hasardeux de la politique. J'aurais préféré pour ma part que nous ayons un président de la République différent. Mais la Constitution nécessitait une mise à terme de la vacance présidentielle. Si la fin du blocage inconstitutionnel a donné un résultat décevant politiquement, tant pis. La Constitution passe avant. De même, je préfère aujourd'hui un gouvernement de personnalités expertes aux politiciens chevronnés qui se crêperont le chignon dans la période forcément trouble et agitée des élections législatives. Cette préférence pour un gouvernement de technocrates requiert probablement que la formation du gouvernement soit encore plus retardée. Tant pis pour la préférence politique. Ne plus attendre, ne plus tergiverser, ne plus bloquer. La Constitution passe avant.

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