Suicide

Suicide

Chibli Mallat, 4 Avril 2017

(PDF versionLe suicide de l'Europe a commencé. Il a été formellement déclenché par le gouvernement de Theresa May mercredi 29 mars dernier. L'article 50 du traité de Lisbonne est désormais opérationnel : la Grande-Bretagne et le reste de l'Europe ont deux ans pour mettre en œuvre la sécession. S'ils ne s'entendent pas sur ses modalités, elle aura lieu automatiquement le 29 mars 2019. Le processus est douloureux et a été reçu froidement par le continent. L'Union européenne ne va pas faire de cadeau à Londres. Pas de traités de commerce bilatéraux, pas de subsides, pas de grands projets économiques financés par l'UE, et pour les quatre grands acquis européens de ses citoyens – libre mouvement et établissement, droit au travail partout en Europe avec un minimum de paperasse, échange libre de marchandises et de capitaux –, une érosion croissante.

La vieille île ne va pas sombrer, et il y aura toujours des requins autour de l'épave pour en soutirer quelques morceaux. Après tout, la Grande-Bretagne n'a rejoint le marché commun qu'en 1973. Pas besoin non plus d'imaginer que l'Europe sera en guerre dans deux ans.
Maigre consolation, car la situation est grave. Les Anglais, Écossais, Irlandais et Gallois sont inquiets à juste titre. Que deviendra le régime de faveur qu'ils ont vécu en Britanniques pendant près d'un demi-siècle dans les huit autres pays de la Communauté économique européenne d'alors, et maintenant les vingt-sept autres États de l'Union, où ils peuvent étudier, travailler, prendre leur retraite, acheter une maison de campagne en France ou sur la riviera italienne, voter aux municipales même, comme s'ils en étaient citoyens ?
Il y a plus grave. Il y a un mois, l'Europe a échappé à son effondrement grâce au vote néerlandais. La défaite de Geert Wilders a permis d'écarter le spectre d'une autre sécession. Pour le moment. Le précédent anglais guette les 27 pays restants. Si la France vote Le Pen en avril-mai, si l'Italie vire vers le sécessionnisme, si les démons identitaires se calcifient en Catalogne, si la Pologne et la Hongrie continuent sur leur lancée nationaliste mâtinée de racisme et de xénophobie, le délitement de l'UE ira plus vite.
Il y a encore plus grave. La logique sécessionniste est implacable. Au sein même de la Grande-Bretagne. Le pays de Galles ayant voté pour le Brexit, la Grande-Bretagne deviendra au mieux une Moyenne-Bretagne, tronquée du tiers de son territoire. L'Écosse est furieuse, qui a voté en majorité contre le Brexit, après avoir voté pour rester en Grande-Bretagne contre ses propres dirigeants, qui avaient appelé à l'indépendance en septembre 2014. Sa Première ministre, chef d'un parti séparatiste, a formellement demandé un nouveau référendum. Il aura lieu probablement en 2019 ou 2020, au moment où la Grande-Bretagne aura quitté l'Union. Il ne faut pas se faire d'illusion sur le résultat de ce référendum. L'Écosse sera indépendante, d'autant plus indépendante que l'UE l'accueillera à bras ouverts, ne serait-ce que pour bisquer Londres. Quid de l'Irlande ? Les deux Irlande ? C'est la logique d'intégration de l'UE qui a mis fin à quatre siècles d'une double guerre plus ou moins continue, coloniale dans le rejet de la domination de Londres depuis le XVIe siècle, civile avec la scission protestante-catholique de l'Ulster depuis plus d'un siècle. Le Good Friday Accord n'aurait jamais eu lieu il y a 20 ans sans le chapeautage européen qui a permis aux ultras des deux bords de réduire leurs haines nationalistes et confessionnelles par le détour européen, bénéfique au culturel et à l'identitaire autant qu'à l'économique et au politique. À cause du Brexit, la tension est montée en Ulster, et la frontière avec la République se durcit à nouveau de jour en jour.
Le gouvernement de Mme May continue d'agir comme si de rien n'était, alors que les hautes cours du royaume lui rappelaient par deux fois que les droits fondamentaux des citoyens sont mis en danger par le Brexit. Semblable hélas à nos dirigeants arabes, sa préoccupation principale semble être de rester au pouvoir à n'importe quel prix. Elle qui avait voté contre la sortie de l'Europe, elle en est devenue la championne la plus cynique. Tout cela parce qu'elle veut rester la patronne de Downing Street alors que des élections nationales, axées sur l'Europe, sont plus urgentes que jamais.
Le suicide de l'Europe unie a commencé. Aucun État n'est à l'abri de la logique sécessionniste, aucune communauté n'y sera épargnée.

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